Portrait de Simone
Appelez-moi Simone
Mars 2022
Le rendez-vous pour mettre en lumière les visages qui font la richesse de Chez Simone et saluer cette communauté de femmes extraordinaire de diversité.
Rencontre avec Anne-Marie
« Quand je suis down, je peux descendre très bas. Mais en général c'est pour remonter encore plus haut. »
Vous en avez pas marre de chialer vous ? Moi oui. Et si vous êtes comme moi, je vais peut-être sauver votre journée. J’ai trouvé le remède anti-blues : il s’appelle Anne-Marie.
Lundi matin 9h00. Je sors de mon week-end en PLS. Position Latérale de Sécurité, celle dans laquelle on met les personnes gravement accidentées. J’ai survécu à deux jours de météo pluvieuse enfermée dans mon appart entre une pré-ado en guerre ouverte contre sa mère (moi) et le terrible two du petit dernier qui ferait passer Poutine pour le Bisounours qui balance des arcs-en ciel avec son gros bide. En une de tous les journaux déferlent les bombes en Ukraine, le changement climatique, la hausse du prix du carburant, la mort de Jean-Pierre Pernaut… Bref, je suis en mode «on va tous crever » .
Je sors du métro en marchant du pied droit dans une vieille crotte de chien séchée et pousse en râlant la porte d’un café. Sans doute auteur de ladite crotte, le chien du patron me regarde de travers. La playlist diffuse à toute bringue « Le monde est stone ».
Je m’assois et la serveuse m’annonce qu’il n’y a plus de rooibos. C’est la goutte d’eau qui fait déborder mon vase ébréché. Je m’apprête à fondre en larmes quand mes yeux mouillés se posent sur la personne assise en face de moi, une femme au sourire qui réconforte instantanément : Anne-Marie. Elle est là, toute de blond coiffée, le regard bleu Cyclades et un air bienveillant qui illuminent son visage.
Anne-Marie n’a pas d’âge. Elle se dit « vintage », et ça tombe bien parce que le vintage c’est à la mode. « L’âge n’est qu’un chiffre, j’en fais mille fois plus aujourd’hui que quand j’étais plus jeune ». En effet, elle revient d’un week-end festif avec des amis dans lequel elle a réussi à caser un semi-marathon sous la pluie quand de mon côté j’ai eu peine à survivre à mes gosses.
Très vite, alors que l’on ne se connait pas et que la serveuse n’a pas encore posé notre commande sur la table, elle lâche son gros dossier. « J’ai compris très tôt que ma vie ne serait pas un long fleuve tranquille. Chaque épreuve que j’ai rencontrée m’a encore plus enseigné qu’il faut aimer la vie. J’en ai tiré une grande force». Quelles sont donc ces tempêtes qui ont tant malmené sa barque? « Entre 11 et 12 ans, j’ai vécu 5 décès dans ma famille, dont celui de l’un de mes frères ». O.K. Je suis séchée sur ma chaise. Mais point de place à la chialade, on passe au sujet suivant. Anne-Marie ne s’attarde pas sur le négatif. Il faut vivre, intensément. « Profites de l’instant », c’est sa devise.
De telles épreuves ne peuvent que forger un tempérament de battante, d’amoureuse de la vie, de meuf badass jusqu’au bout des ongles. Face à moi j’ai un spécimen d’une rare force de caractère. La résilience fait partie de son histoire. Elle a une grande capacité à rebondir et à se relever des pires épreuves. Une qualité qui est selon moi un super-pouvoir, l’équivalent de Superman qui arrête les balles avec ses pecs en plus crédible mais tout autant incroyable. « Il m’arrive de tomber, mais je ne mets qu’un seul genou à terre pour mieux pouvoir me relever ». Connaître le deuil aussi jeune a fait d’elle une héroïne.
Née en Normandie dans une famille d’agriculteurs qu’elle dit « non-conformistes », elle se souvient des grandes tablées autour desquelles on pouvait parler de tout, de la politique à la sexualité. Des débats animés adoucis par les plats mitonnés par sa mère, dont elle a hérité l’amour des bons produits. La cuisine, c’est le versant bienveillant d’Anne-Marie, trait de caractère que tout le monde lui reconnait. Bien nourrir les autres c’est une manière de leur montrer qu’on les aime. Elle me raconte comment elle a cuisiné à son père ses plats préférés pour qu’il s’en régale jusqu’à son dernier souffle. « Jusqu’au bout j’ai fait en sorte qu’il mange ce qu’il aime» me dit-elle avec émotion. Ce père, qui l’avait eu tardivement, était son pilier et son premier supporter. Il était un mentor, celui qui lui a transmis cette force de caractère. Il l’appelait après chaque course pour connaître son score, la féliciter et débriefer avec elle comme un coach le ferait avec un sportif de haut niveau.
Anne-Marie et le sport, c’est l’histoire d’une passion tardive, un peu comme quand on trouve l’amour de sa vie après avoir connu bien des hommes. Elle en a fait la rencontre à 40 ans, à sa manière. Anne-Marie a le don de transformer le négatif en positif. Aquaphobe, elle décide de profiter d’un été sans congés pour aller vaincre cette peur de l’eau dans une piscine municipale de Paris. Avec l’aide d’un coach, elle y parvient si bien que nager sous l’eau devient une passion, son moment d’extase. Cette découverte de la natation provoquera une envie de s’essayer aux sports terrestres. C’est ainsi qu’elle pousse les portes de l’appartement de Chez Simone, un lieu qu’elle adore et dans lequel elle retrouve la bienveillance et le non jugement qui lui sont chers. Elle y pratique les sports les plus intenses tous les jours à 7h30 sauf le samedi, seul jour de repos qu’elle s’octroie : renforcement musculaire, TRX, boxe, ou encore le functionnal avec Pierre, « c’est ma messe du lundi, je ne la louperai pour rien au monde ».
Quelle femme ! Moi, la tout juste quarantenaire qui a l’impression d’avoir 100 ans et qui ne tient pas la distance à la course de mon fils de 90 cm, je trouve dans le récit de cette vie une inspiration. Elle me donne envie de croire que tout est possible, de voir l’espoir là où il semble qu’il n’y en ai plus, la promesse du muscle dans chacun de mes capitons. C’est décidé : quand je serais grande, je serais Anne-Marie.
Nous sortons du café pour nous dire au revoir, enfin à bientôt j’espère. La guerre fait toujours rage pas si loin de la rue de Rivoli. JPP ne reviendra plus nous parler de la fête du slip à Montcuq, mais pour autant je me sens moins triste, plus forte pour vivre dans ce monde qui semble tourner si mal et mieux armée pour voir la vie sous son plus beau jour.
Le ciel est bleu, d’un bleu Cyclades. Je décide de prendre le temps d’en profiter en remontant la rue à pieds jusqu’à la station de métro suivante. Il fait beau mais il fait froid. Je frissonne lorsque je remarque que je suis du mauvais côté : mon côté de la rue est à l’ombre alors que celui d’en face est presque aveuglant tellement il rayonne. Je traverse pour poursuivre mon chemin sous une chaleur réconfortante, pour profiter de l’instant à la manière d’Anne-Marie.
C’est peut être ça son secret finalement : choisir le bon trottoir, celui qui est au soleil plutôt que celui qui est à l’ombre.
Portrait réalisé par Juliana Capblancq
Crédit photo : Charlotte Lindet