Portrait de Simone
Appelez-moi Simone
Février 2022
Le rendez-vous pour mettre en lumière les visages qui font la richesse de Chez Simone et saluer cette communauté de femmes extraordinaire de diversité.
Rencontre avec Daphné
Connaissez-vous la légende de Daphné ? Elle était une nymphe d’une très grande beauté dont Apollon tomba éperdument amoureux, tant et si fort qu’il se mit à la poursuivre, la suppliant de l’aimer en retour. Lasse de s’enfuir face aux assauts de ce prétendant pour lequel elle ne ressentait aucun amour, Daphné supplia les dieux de lui venir en aide et fut ainsi transformée en arbre, un laurier à l’odeur envoûtante, profondément enraciné et auquel Apollon voua dès lors un culte dévoué.
La Daphné que je rencontre est incroyablement belle. Mais elle ne se serait jamais laissée transformer en arbre, même pour échapper à un prétendant un peu lourdingue. L’immobilisme est son antithèse. Dans son ADN coulent au contraire le mouvement, le voyage, la soif de découverte. Un tempérament qu’elle doit sans doute à son histoire familiale, héritage qui forgera son destin.
Daphné, c’est l’essence même du multiculturalisme. Elle est née à Izmir en Turquie, fruit de l’amour entre un papa turque et une maman française. Une double culture qu’elle vit comme une richesse et qui l’aura poussée à développer une grande curiosité et une passion du voyage. Un intérêt pour la découverte qu’elle poussera jusqu’à épouser Guo Ran, son mari d’origine chinoise, avec qui elle a fondé une agence créative qu’ils ont baptisé de l’indicatif téléphonique pour joindre ce pays : « +86 », une ligne directe pour faire discuter leurs deux cultures.
Daphné a grandit au bord de la grande bleue, dans la maison familiale de Çesme, posée sur le rivage face à l’île de Samos. Une enfance heureuse, imprégnée de l’odeur des herbes sèches et bercée par le souffle du meltem, ce vent caractéristique de la région qui rend un peu moins suffocants les étés sur ce bout de Terre. Elle y grandit dans l’amour de ses parents, fréquentant une école de bonnes sœurs italiennes dans laquelle son tempérament solaire contraste avec l’austérité chrétienne. Car s’il y a bien un adjectif qui la définit, c’est celui-ci : solaire. Un soleil chaud et lumineux, presque éblouissant, typique de Turquie. Ce n’est pas un hasard si sa tante vénitienne lui attribue toute petite ce surnom qui lui collera à la peau pour le restant de sa vie : « Papatya », marguerite en turque.
La Méditerranée coule dans ses veines, pourtant elle a l’allure d’une princesse slave : des cheveux d’un roux flamboyant, des yeux vert cristallins, une peau pâle clairsemée de tâches de rousseur qui viennent souligner un port de tête altier. A 38 ans, elle a eu un parcours professionnel exemplaire dans le storytelling et le brand content, du Vogue turque à Swarovski jusqu’à cette agence créée avec son mari. Elle vient chez Simone depuis le début. « Cet endroit me donne l’impression d’y être en coloc. Tout y est fait pour nourrir un esprit de convivialité, de bienveillance et de sororité ».
Elle est de ces femmes qui préfèrent voir le verre à moitié plein, plutôt que celui qui est à moitié vide. Lorsque je lui demande quel est son mot préféré, elle me répond « le mot Oui », celui qui fait s’étirer les commissures des lèvres pour parer le visage d’un large sourire. Elle est profondément positive, tenace dans le bonheur. Une ténacité qu’elle aura sans doute apprise dans sa pratique acharnée et à haut niveau du fleuret, un sport qu’elle a pratiqué quasi-quotidiennement de 6 à 18 ans. « L’escrime a construit ma personnalité, celle de persévérer. C’est un duel, un sport binaire : tu perds ou tu gagnes. Et lorsque tu perds, il t’invite à en tirer des enseignements, des apprentissages. C’est un sport intelligent ».
Et pourtant derrière cet optimisme qui semble inébranlable apparaît une grande sensibilité qui touche en plein cœur. D’un coup, sans crier gare et alors que je la questionne sur sa mère, des larmes jaillissent. Incontrôlables, profondes. Des larmes d’enfant. Un enfant meurtri par la mort bien trop prématurée de celle qui lui a donné la vie. Des larmes communicatives, des larmes qui appellent d’autres larmes : les miennes. Je la regarde pleurer, démunie, pleurant moi même. Nous ne nous connaissons que depuis quinze minutes à peine mais nous pleurons déjà ensemble. La peine que l’on ressent à la perte d’un parent est universelle. Elle fait fi des frontières et des cultures. Daphné m’avait confié que, déjà toute petite, elle ne comprenait pas bien le concept de pays, mais préférait celui de monde. Son monde et le mien viennent de s’unir en laissant s’exprimer la blessure que laisse au plus profond des entrailles la perte d’un être cher. Elle me raconte celle qui l’aura élevée seule à la séparation d’avec son père lorsqu’elle avait 6 ans. «Maman m’a tout donné, elle a tellement bien fait son job de mère ! Elle m’a armée pour affronter la vie. Me viennent parfois à l’esprit des choses qu’elle pourrait me dire face à une situation difficile que je rencontre. Je les écoute, je les applique. Elle continue de vivre avec moi de cette manière » me confie t-elle au sujet de cette femme qui sera pour toujours son modèle.
Deux heures déjà que nous nous découvrons l’une et l’autre. Je dois laisser Daphné, un interlocuteur du bout du monde est sur le point de l’appeler d’un numéro commençant par « +86 quelque chose ». Bizarre de se quitter si précipitamment… Elle me regarde de ses grands yeux verts couleur laurier : « Se reverra t-on pour un autre café ? ».
La réponse est « oui », ce mot qui dessine, un si large sourire.
Portrait réalisé par Juliana Capblancq
Crédit photo : Charlotte Lindet